Le marché unique européen à la croisée des chemins

FINANCIAL TIMES Entretien avec Enrico Letta

11 février 2024, Niklas Uder

Enrico Letta, ancien Premier ministre italien et Président de l’Institut Jacques Delors, a donné au FINANCIAL TIMES (FT) un aperçu de son futur rapport sur le marché unique européen en déclarant : « J’essaie de travailler sur la façon d’avoir des solutions comme le 28e régime ».

Le 24 juin 2023, le Conseil européen a demandé la « présentation d’un rapport indépendant de haut niveau sur l’avenir du marché unique ». En concertation avec la présidence espagnole du Conseil et la Commission européenne, le Premier ministre belge Alexander de Croo a chargé Enrico Letta comme ancien président du Conseil de rédiger ce rapport. Le Conseil européen a invité la Commission à poursuivre le travail de M. Letta en consultation avec les États membres. Le rapport doit être présenté lors du sommet de l’UE à Bruxelles en avril 2024.

Le « Saint Graal » du projet de M. Letta, dit-il dans l’entretien avec Martin Sandbu, paru le 8 février 2024 dans le FT, est de trouver « comment changer d’échelle sans tuer les quatre libertés » : la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes qui, ensemble, définissent le marché unique. Pour ce faire, il faut notamment renforcer l’intégration et la réglementation commune – M. Letta cite la loi européenne sur l’intelligence artificielle comme étant le type de mesure nécessaire pour éviter une mosaïque de 27 règles différentes qui compliquerait la tâche des innovateurs technologiques qui souhaitent se développer. Il s’agit également de « travailler sur l’application de la législation ». C’est, à mon avis, l’un des principaux problèmes du marché unique, déclare-t-il. Il y a ensuite la question de savoir comment intégrer le droit des sociétés dans tous les États membres de l’UE. Il est très difficile pour une entreprise de taille intermédiaire (ETI) de dire : « D’accord, je travaille dans 27 langues différentes, 27 systèmes de droit des affaires, 27 systèmes fiscaux… Vous n’avez pas un bureau juridique de 50 personnes qui vous le permette. J’essaie donc de trouver des solutions comme le 28e régime ». Le « 28e régime » est une idée audacieuse. Il s’agit d’une couche distincte de droit (des affaires), légiférée au niveau de l’UE et dans laquelle les entreprises peuvent choisir de se constituer en société.

« S’il était rendu simple, prévisible et attractif, ce régime optionnel pourrait constituer une alternative supérieure à l’harmonisation des règles nationales, qui pourrait subsister mais ne constituerait plus un obstacle à la mise à l’échelle (scalability) ».

En tant que Président de l’Institut Jaques Delors, M. Letta a eu beaucoup à faire avec le célèbre père du marché unique, jacques Delors avec lequel il s’est entretenu jusqu’à sa disparition en décembre 2023. « Le point principal que Monsieur Letta souligne est le fait que lorsque Jacques Delors a lancé le marché unique, le monde était simple et l’Europe était simple. Aujourd’hui, l’Europe est plus grande et le monde est devenu plus complexe.

Ce n’est pas la première fois que le FINANCIAL TIMES soulève la question d’un régime supplémentaire de droit des affaires pour accroître l’économie.

En 2019, le FINANCIAL TIMES a publié un article intitulé « How a pan-EU insolvency regime could advance banking union » (Comment un régime d’insolvabilité paneuropéen pourrait faire progresser l’union bancaire) en référence à la prévention des crises financières. Une alternative à l’harmonisation des règles nationales consiste à ajouter une couche optionnelle de règles communes. Albert Bravo-Biosca, économiste au sein du groupe de réflexion sur l’innovation Nesta, préconise une « couche européenne ». Celle-ci comprendrait des règles paneuropéennes en matière d’insolvabilité et de faillite que les entreprises auraient la possibilité de suivre à la place de leur législation nationale. Les propositions de M. Bravo-Biosca, qui ont été présentées aux ministres des finances de la zone euro à l’époque, ne sont pas spécifiquement conçues pour le secteur bancaire même si ce dernier est déjà partiellement réglementé au niveau européen. La crise de l’Euro a clairement montré que si l’on veut que l’union bancaire fonctionne, des changements doivent être apportés.

Lien pour l’accès à l’article paru le 8 février dans le FINANCIAL TIMES : https://www.ft.com/content/13d6ca67-eebb-4ea7-939b-1d03fec68b81Niklas Uder
Generalsekretär
Verein für die Vereinheitlichung des Wirtschaftsrechts in Europa e.V.
Mail : niklas.uder@wirtschaftsgesetzbuch.eu

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